La nudité des femmes en Afrique : une arme de lutte puissamment symbolique

Si vous avez passé du temps sur les réseaux sociaux comme Facebook ou X il y a quelques semaines, vous avez sans doute entendu parler de la marche torse nu des femmes du sud du Tchad ou encore, en décembre dernier, du sit-in nu prévu par des féministes sénégalaises, qui a malheureusement été interdit.

Au Tchad, un groupe de femme a manifesté torse nu contre l’insécurité grandissante.

Bien qu’effacées des récits historiques populaires, les femmes africaines ont toujours été au cœur des mouvements de lutte et de libération sur le continent. Qu’il s’agisse de problèmes politiques, d’abus de pouvoir, de questions sociales, d’injustices ou de la revendication de leurs droits, les femmes africaines, qu’elles soient du Sud, de l’Est, de l’Ouest, du Nord, francophones, anglophones ou lusophones, se sont toujours mobilisées pour se faire entendre.

La marche nue : outil puissant de manifestation

Parmi les méthodes de protestation adoptées par les femmes africaines, la marche occupe une place centrale. Elle prend plusieurs formes : silencieuse, bruyante avec des casseroles et tambours, ou encore nue. Cette dernière, certainement l’une des plus audacieuses, est souvent réservée aux situations de désespoir profond. Ce choix, loin d’être anodin, témoigne d’une forme de courage rare dans des sociétés où le corps des femmes est sacralisé et contrôlé.

Face à la montée des féminicides, des viols sur femmes et mineures, des violences conjugales, du sexisme et de toutes autres formes d’oppressions, les femmes africaines se trouvent souvent dans une impasse. Malgré les efforts des organisations de la société civile, les politiques publiques et les lois existantes, leurs droits continuent d’être bafoués.

Le 14 janvier dernier, des femmes de Larmanaye, au sud du Tchad, ont manifesté torse nu pour protester contre les violences croissantes envers les femmes de leur région, notamment les viols, enlèvements et féminicides. De leur côté, les féministes sénégalaises avaient annoncé, en décembre dernier, un sit-in nue/tatoo néné pour dénoncer la culture du viol, l’inaction face aux violences, et exiger l’application du protocole de Maputo, appelant à la liberté et à la dignité des femmes africaines.

Suite au viol d’une jeune fille de 9 ans, des féministes Sénégalaises avaient prévu une marche nue le 31 décembre pour dénoncer la culture du viol. Cette marche a été interdite par les autorités du pays.

Ces actions visent à éveiller la conscience collective, à interpeller les dirigeants et à exiger des mesures concrètes contre les violences faites aux femmes et aux filles. Elles rappellent aussi, avec force, que le corps des femmes leur appartient et qu’il ne peut être un outil d’oppression.

Elles s’inspirent de leurs mères

Certains critiques qualifient ces manifestations de copies des mouvements occidentaux, comme ceux des Femen, ce qui démontre une profonde ignorance de l’histoire africaine. Depuis des décennies, les femmes africaines utilisent la nudité comme un moyen de protestation puissant, surtout lorsqu’on sait que ce geste est perçu dans plusieurs sociétés africaines comme une malédiction. 

En 1930, l’Union des femmes d’Abeokuta, au Nigéria, a manifesté torses nues pour dénoncer un projet de taxe coloniale. Dans le même pays, des femmes ont paralysé une raffinerie pendant huit jours en menaçant de se dévêtir. Au Kenya, dans les années 2000, le mouvement des Grands-mères du coin pour la paix s’est soulevé, seins nus, pour contester des injustices foncières. Des femmes centrafricaines, togolaises et sud-africaines ont également eu recours à cette méthode pour dénoncer des violences, des politiques oppressives ou des inégalités systémiques.

Ces exemples montrent que la nudité comme arme de lutte est une pratique enracinée dans l’histoire africaine, loin d’être une copie sur l’Occident.

Un acte de courage et une stratégie de lutte!

En Afrique comme sur d’autres continents, le corps des femmes est encore soumis à un contrôle rigide édicté par des normes patriarcales, culturelles et religieuses. Les mutilations génitales, les restrictions vestimentaires et l’assignation des femmes à un rôle reproductif en sont des illustrations. Ainsi, voir des femmes défier ces normes en se dénudant dans l’espace public est perçu comme un acte à la fois choquant et subversif.

Ce n’est donc pas étonnant de lire les commentaires irrespectueux de certains hommes et femmes et leur indignation face à la marche nue des femmes tchadiennes et l’annonce du sit in nu des femmes sénégalaises.

Dans les sociétés africaines, le corps de la femme est considéré comme particulièrement sacré. Voir ce corps nu dans l’espace public est perçu comme un affront aux hommes, un péché, un acte spirituellement lourd qui peut avoir des conséquences sur la société. 

Les femmes conscientes de ces enjeux, choisissent la nudité comme arme de protestation en faisant du corps sacré un outil de résistance à la fois audacieux et efficace. Elles transforment le corps sacralisé, souvent objet de contrôle et d’oppression, en un outil de résistance. Cet acte exige un immense courage, car il expose les manifestantes à des critiques, des jugements et parfois des violences, tant de la part des dirigeants que de la société civile.

En se réappropriant leur corps, les femmes africaines en font une arme de transformation sociale, rappelant que ce dernier n’est ni une possession des hommes ni un bien de l’État.

La nudité comme forme de protestation est un appel à l’action, une dénonciation des violences et une affirmation du droit des femmes à disposer d’elles-mêmes. L’histoire et la réalité montrent que ce choix, bien que controversé, est un outil puissant pour réclamer justice et égalité.

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